Partir à l’autre bout du monde, construire un orphelinat, une école, sauver les tortues… Autant de projets dont on entend parler quand on aborde la question de “l’expériment long”, cette action de solidarité proposée aux compagnons 2e temps. Mais ces projets sont-ils vraiment utiles ? Partout dans le monde, des associations et des organismes utilisent la bonne volonté et l’argent des équipes compagnons, pour s’enrichir sur le dos d’une bonne cause. C’est ce qu’on appelle du “volontourisme”. Au mieux, ce sont quelques semaines qui donnent bonne conscience, au pire, des projets qui desservent et nuisent aux populations locales. Mais alors, comment faire un vrai projet utile et permettant de vivre réellement la rencontre interculturelle ?
Quatre semaines en juillet prochain. Les dates sont bloquées pour que l’équipe des “Com’peur de rien” parte vivre son expériment long. Les quatre compagnons sont tombés d’accord : ils veulent un projet autour de l’éducation et de l’enfance, une des 8 pistes d’actions proposées pour les Compagnons. Ils aimeraient plus particulièrement un projet avec des enfants dans le besoin, dans un orphelinat par exemple. Ce serait l’occasion de leur donner un peu d’affection, de jouer avec eux, de leur apprendre l’anglais aussi.
On comprend que ce type de projets attire beaucoup de volontaires. Mais, ce que l’on sait moins, c’est qu’aujourd’hui au Cambodge par exemple, il y a plus d’orphelinats qu’en 1979, au sortir de la guerre. En trente ans, le nombre d’orphelins serait passé de 7 000 à 47 000. D’après l’Unicef, 74% de ces orphelins ont toujours leurs parents. Et c’est pareil au Vietnam, au Laos, en Thaïlande, en Birmanie. Pourquoi ? Parce que s’occuper d’orphelins, ça attire beaucoup de volontaires étrangers, et sous couvert d’une participation aux frais d’hébergement et de visites touristiques, des organismes entretiennent des business juteux autour de l'accueil de volontaires. Mais avec tout l’argent qui afflue, c’est moins la vie des enfants qu’on améliore que les profits d’associations peu scrupuleuses.
Comment bien choisir son partenaire ?
Cela nécessite une étape de recueil d’informations: quelle est votre association partenaire ? Quel est son projet ? Quel positionnement éthique défend-elle ? Y a-t-il des conséquences sociales ou économiques à votre venue ? Quels sont les impacts que vous attendez ?
Si certaines associations continuent d’exister grâce à la participation financière des volontaires accueillis, il est important de rester attentif.ve au niveau de contribution aux frais de l’association. Pensez à croiser le prix demandé avec le coût de la vie indiqué dans des guides. Par exemple, en Bolivie une association demande 1500€/mois … alors que selon les guides on s’aperçoit que 560€/mois suffisent très largement pour se loger et se nourrir décemment. L’association peut peut-être clairement vous expliquer quelles dépenses sont envisagées avec votre apport financier ?
Comment avez-vous trouvé l’association ? Soyez critiques envers ce qu’on vous propose. Méfiance si c’est le premier résultat sur un moteur de recherche ou si une association vous contacte via les réseaux sociaux. PPassez plutôt par les Scouts et Guides du pays, le CCFD Terre-Solidaire, le Secours Populaire, le Secours Catholique, France Volontaires, le site compagnons.sgdf.fr… Ces contacts peuvent vous aider. Et surtout, n’oubliez pas de contacter le Chargé de Mission Partenariat Pays le service International et les équipes compagnons qui ont déjà fait des projets similaires.
Les “Com’peur de rien” décident donc de changer de projet tout en gardant la piste éducation et enfance. Un de leurs proches leur recommande une association qui ne demande pas de sommes exorbitantes. Cet été, cette ONG a un projet de reconstruction d’une école en Haïti : après les différents ouragans de l’automne 2017, il y a de quoi faire ! L’équipe décide donc de se lancer. Mais sans aucune compétence dans le bâtiment ou l’architecture, malgré toute sa bonne volonté, est-elle vraiment la mieux placée pour ce genre de projet ?
Vous et vos compétences, comment vous situez-vous ?
Faites une liste de ce que vous savez faire, de ce que vous êtes en mesure d’apprendre d’ici le camp tout en restant cohérent. Par exemple, pourquoi donner des cours d’anglais si votre langue maternelle est le français ?
Osez utiliser vos compétences, vous en avez ! Vous pouvez retourner la situation pour vous aider : vous êtes prêts à aller construire un bâtiment au Burkina Faso alors que vous faites respectivement des études de pâtisserie, de droit, d’aide-soignante, d’ingénieur informatique et de podologue. Accepteriez-vous qu’une équipe de jeunes burkinabès qui étudient la musique, la cuisine ou la médecine vienne construire votre maison ?
Envisagez de mobiliser les compétences locales. Vous pourriez peut-être solliciter un professionnel sur place et commencer votre projet par 2 jours de formation en maçonnerie. Soyez vigilants à ne pas prendre le travail des locaux mais à vous placer en aide, en partenaires.
Les “Com’peur de rien” sont un peu perdus. Ils ne sont ni médecins, ni enseignants, encore moins éducateurs spécialisés ou architectes. En plus, à 19-20 ans, on commence à peine ses études, difficile de faire valoir des compétences professionnelles… Que pourraient-ils apporter ? En revanche, les quatre compagnons ont tous la fibre artistique : entre la danse, la flûte, la guitare et le dessin, chacun d’eux à un talent, et une vraie compétence ! Ca y est, ils tiennent le projet : monter un spectacle pour des enfants ! Plus fort ! Préparer des spectacles avec les enfants : l’histoire peut ainsi évoluer au fil du temps, se faire avec la participation d’acteurs locaux, prendre en compte la culture locale… Dans ces conditions, vous assurerez un réel enrichissement réciproque !
Comment rendre juste cette ouverture interculturelle ?
A quel moment rencontrerez-vous des locaux et des jeunes de votre âge, qui vous parleront de leur pays, de leur culture, de ce qu’ils font déjà pour aider leur pays à se développer et de ce dont ils ont besoin ? Parlez-en avec l’association partenaire en amont.
Êtes-vous bien en train de vous placer dans une relation bilatérale d’échange et de rencontre ? L’échange, ce n’est pas juste leur faire découvrir la France et sa culture. C’est aussi apprendre des personnes que vous rencontrez.
Voici quelques pistes : prenez contact en amont avec l’association scoute locale et posez-leur des questions. Soyez bien à l’écoute des propositions. Parfois, votre interlocuteur craint de vous vexer et n’ose pas vous contredire. Impliquez-vous dans la construction du projet avec le partenaire. Par exemple, si vous faites un petit-déjeuner français, proposez au partenaire de cuisiner un petit déjeuner typique lui aussi. Votre projet sur place doit être co-construit avec le partenaire local et tenir compte des spécificités et des enjeux de la vie sur place.
Les “Com’peur de rien” s’engagent donc sur un projet spectacle, au Sénégal, dans une association qui aide les enfants et jeunes à la rue à se réinsérer. Ils construiront le spectacle sur place, avec les jeunes qui intègreront de la danse, de la musique et des dessins sénégalais. Parallèlement, ces questions-là seront travaillées avec les éducateurs et encadrants de l’association.
Et pour conclure ?
Un expériment long, replacé dans un contexte global est surtout court ! C’est pourquoi il faut penser à ce qu’il se passait avant et ce qu’il se passera après votre venue. Le projet, l’association, la population locale qui voient défiler du monde, quelles sont les effets sur eux ? Comment faire pour que votre projet ait un réel impact aussi dans votre propre parcours?
Ce projet doit permettre à chacun et chacune de vivre la rencontre interculturelle, s’inclure dans un projet plus global en conduisant à une utilisation autonome, et bien sûr être utile, en adéquation avec le quotidien des habitants.
Il est certes difficile de trouver le bon équilibre entre accepter l’humilité de son impact de colibri, créer un projet qui sert vraiment à quelque chose et ne pas oublier ce qui est fondamental : la joie du partage et de la rencontre. Bon expériment !
Pour aller plus loin |
- L'humanitaire imaginaire, sur www.lapresse.ca
- Le volontariat dans les orphelinats n'est pas un jeu d'enfant sur www.ecpat-france.fr
- Un guide pour lutter contre l'ego-trip humanitaire en Afrique, sur www.rfi.fr
- Tourisme humanitaire, la vraie fausse pitié, sur www.libération.fr